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  • lundi 4 novembre 2013

    Mémoires d'une conférence peu ordinaire


    Extrait du recueil "Les Mémoires d'Outre Monde".
    À Pauline...


    Maria Santa Lewis est mon idole. La plus grande aventurière de tous les temps. Une scientifique très cultivée. Précurseur dans de nombreux domaines : la natation aérienne, la vivisection sur animaux morts, la peinture à l'eau sans pigments et j'en passe !
    Elle a également été la première femme à :
    • remonter la rivière Petitcodiac avec les saumons de l'Atlantique,
    • rester en apnée dans une poche à oxygène au bas de l'Himalaya,
    • collectionner les poils de chiens... Et j'en passe !
    Sa réputation n'était plus à faire à l'université de Croûton Ville : les étudiants en première année du département des sciences inutilo-inconnues piaffaient d'impatience à l'idée de savoir qu'une conférence allait être donnée par Lewis elle-même.
    Ils s'étaient concertés afin de créer un cadeau de bienvenue. Tous les soirs les élèves se retrouvaient dans les labo du campus pour élaborer ce qu'ils appelaient humblement et simplement « le chef-d'œuvre artistique d'une classe de scientifiques avant-gardistes maitrisant leur œuvre à la perfection. » Les étudiants en lettres traduisaient cela par : « Voyage au bout de la nuit ».
    Un an de préparation avait été nécessaire pour produire ce superbe présent. La grande Maria Santa Lewis n'allait sûrement pas être déçue de se voir offrir un volcan en papier mâché crachant de la sauce ketchup à chaque fois qu'elle aurait à presser la petite valve en caoutchouc noir, pendant sur le côté du cratère.
    Les littéraires quant à eux, avaient rédigé un poème de 3203 vers, traduit dans les nombreuses langues enseignées dans notre école. Il existait donc en français, anglais, italien, espagnol, en coréen, en croate, en serbe, chinois, japonais, araméen, grec (ancien bien entendu !), latin, russe, ouzbek, camerounais, arabe... en canadien, en mexicain, en fantassin… je crois même savoir qu'il existait en ultra-son pour les étudiants en langage animalier. Il est sûrement utile de préciser que les étudiants en hindi avaient joint un dépliant en sanscrit sur l'art du kama-sutra. Tout cela promettait d'être pas-sion-nant !

    Le jour de la grande conférence on pouvait lire sur les panneaux d'affichage :

    A 17h, conférence sur la fabrication des têtes réduites par l'éminente aventurière Maria Santa Lewis. Démonstration à 18h.
    Elle parlera également de son livre Fabrication de têtes réduites et petits tracas du quotidien au temps des Indiens d'Amazonie aux éditions L'anthropologue fou.
    A 20h, dégustation de thé aromatisé à l'arsenic.
    Bonne journée à tous.

    Le directeur avait oublié de mentionner qu'elle allait probablement parler de son dernier guide touristique : Voyage au cœur des abysses, un ticket pour l'enfer à des prix défiant toute concurrence. Un carnet de route vraisemblable pour toutes les personnes en quête d'action... de beaucoup d'action !

    L'heure H était enfin arrivée. L'amphi était plein à craquer : les 24 chaises étaient occupées ! Une ambiance du tonnerre avait empli la salle : tous les gens souriaient.

    Seuls les lycéens étudiant le comportement des otaries du zoo local tapaient dans leur main : allez savoir pourquoi !

    Enfin elle apparut sur scène, avec son grand chapeau kaki, sa chemise beige transparente et ses cuissardes montées jusqu'aux chevilles.
    Le président de la soirée, qui allait commenter l'événement, était monsieur (ou madame, nous n'avons jamais su) Le Prince, une personne libérée qui travaillait en tant qu'assistant de la femme de ménage. Pour la petite anecdote, elle avait remporté le concours miss serpillère trois années de suite. Enfin bref, c'était l'élite qui était présente ce soir-là.

    La conférence commença ainsi :

    — Chers élèves de notre chère université de notre chère ville de notre cher département de notre cher pays, souhaitez la bienvenue à l'extraordinaire Mariaaaa Santaaaa Lewiiis !

    Un tonnerre d'applaudissements fusa aussitôt.

    — Madame Lewis...
    — Mademoiselle Lewis ! Rétorqua-t-elle.
    — Vous n'êtes plus mariée ?
    — Mon mari est mort en voulant se sécher les cheveux dans la douche, le pauvre homme... il était chauve!

    Gros silence…

    — Bien ! Poursuivons Mademoiselle ! Les étudiants nous ont préparé des questions pertinentes sur vos travaux, êtes–vous prête à y répondre ?

    Elle posa ses mains de part et d'autres du pupitre, écarta les jambes pour être bien sur ses appuis.

    — C'est parti mon kiki !

    Notre cher travesti lui fit un clin d'œil complice. Pendant une seconde elle parut étonnée et lança :

    — Qui désirerait commencer?… Oui, vous là-bas !
    — Je m'appelle Natacha Nunuch, j'ai 21 ans je suis fan de vêtements roses et de moi aussi ! Et j'adorerais savoir comment on fabrique des têtes réduites, parce que dans Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban j'en ai vu et j'ai vraiment adoré leurs petites têtes... enfin leurs petites têtes...
    — Réduites ! Compléta une Lewis sarcastique.
    — Ouais voilà! Mais comment vous avez su que c'était le mot que je cherchais?
    — L'intuition sans doute! Ironisa de nouveau cette chère Maria Santa. Alors la fabrication des têtes réduites est un exercice complexe, long et qui réclame beaucoup d'expérience... voilà je crois que tout est dit ! Ça vous va ?
    — Oh ouais c'est super merci ! Je vais pouvoir m'en faire une à mon effigie !

    — D'autres questions ?
    — Quelle est la chose la plus géniale que vous ayez faite ?
    Parler avec un lama péruvien muet ! Ses parents venaient de l'abandonner. Nous avons donc partagé un whiskey de douze ans d'âge. Il était très sympathique. C'était une expérience troublante mais tout à fait intéressante ! Pourtant, ça n'aurait jamais marché entre nous... soupira-t-elle. Une autre demande ?

    — Que pensez-vous de la théorie de la relativité inter-fragmentaire du cycle exponentiel des neutrons dans un corps solide qui se réchauffe par fusion sinusoïdale carré par angles de surface ? Et surtout pourquoi ce phénomène nommé, entre guillemets, théorie des essuie-glaces touche la plupart des gens frileux sur les bords de la toundra ?
    Vous vous êtes trompé, jeune homme, c'est la théorie de la relativité inter-fragmentaire du cycle exponentiel des électrons dans un corps solide qui se réchauffe par fusion sinusoïdale triangulée par angles de surface ! Ne parlons pas de sujets que vous ne maîtrisez même pas ! Suivant !

    — Qu'avez-vous appris auprès des peuples d'Amérique du Nord ?
    — Les Amérindiens vous voulez dire ?
    — Euh... non ! Les américains, quoi !
    Ah ! Voilà une question qui ne manque pas d'intérêt ! Qu'est ce que j'ai appris du peuple américain... Je dirais... préparer un bon hamburger !... Au suivant !
    — Votre voyage en Amazonie a-t-il été éprouvant autant sur le plan moral que physique, miss Lewis ?
    Je m'étais levée. Elle me fixa impassiblement. Je compris que c'était plutôt le genre de questions qu'elle attendait.
    — Lorsque vous quittez votre pays d'origine, vous vous envolez pour des régions inconnues. Vous ne connaissez ni le climat, ni les coutumes, les gens, ni la nourriture, ni le contexte politique, du moins c'est ainsi que je conçois l'aventure. Mon arrivée en Amazonie a donc été compliquée à gérer au niveau moral. Je pense que le choc des cultures a toujours du bon mais un temps d'adaptation est toujours nécessaire. Sur le plan physique il est clair que marcher dans des jungles très humides où grouillent sangsues et moustiques n'est pas plaisant! La solution est de ne pas s'écouter ! Merci pour cette question mademoiselle !
    — Merci à vous, miss Lewis.

    Soudain la porte arrière de l'amphi claqua. Tout le monde se retourna. Quelqu'un s'avança, passant de la pénombre au feu des lampes à huile. C'était un homme en serviette de bain rose à pois orange. Elle était nouée autour de sa taille, laissant ainsi apparaître un torse totalement imberbe. Dans sa main droite, un sèche-cheveux.
    — Bonsoir, déclara-t-il d'un ton solennel totalement en désaccord avec sa tenue, je suis Charles Edgar Louis Bruvalde Lewis, mari de Maria Santa Clara Pauline Anna Lewis.
    Je viens réclamer justice... car j'ai été victime d'une tentative de tuerie massacrante. Autrement dit, un MEURTRE !
    La salle poussa un cri de stupéfaction. Il reprit :

    — Oui ! Je crois comprendre votre épouvante ! Et le tueur est dans cette salle...
    Il leva la main, pointa son engin vers miss Lewis, appuya sur le bouton de mise en marche.
    — C'est elle la meurtrière !
    Des murmures serpentaient dans la salle. L'aventurière ne savait plus quoi dire, elle semblait paniquée et déçue. Enfin Maria Santa avoua :
     Je pensais pourtant que... que... que... eh bien, que le sèche-cheveux était bien branché ! 

    Marie Sullivan
                                                                                         juillet 2010
                                                                                                      

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